"La Sécurité est un droit (Rue Bleue)"

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Par Alain Dumait
15 févr. · 6 mn à lire
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Silences troublants au procès des complices de l'assassin du colonel Beltrame

Les responsables de l’antenne de Toulouse du GIGN n’ont pas été convoqués… Le schéma national d’intervention en cas de prise d’otage devrait être, au moins, ré-examiné…

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Dans quelques jours se terminera le procès des présumés complices de Radouane Lakdim, l’assassin du colonel Arnaud Beltrame.
Jour après jour, L'Essor, avec son rédacteur-en-chef Pierre-Marie Giraud, en a suivi les audiences. Notre dossier, c’est ici

Dans l’attente de ce jugement, en principe rendu le 23 février, un certain nombre de non-dits obligent à s’interroger à la fois sur les responsabilités et les retours d’expériences.

Précisons d’emblée que ces interrogations ne remettent en rien la bravoure d’’Arnaud Beltrame. Il est allé au devant de la mort, en s’y exposant volontairement, inspiré qu’il était par le Christ lui-même, qui était devenu son modèle !… C’est définitivement un héros !

Mais, pour se faire, il a sciemment bafoué une règle intangible de l’Institution, qu’il connaissait bien, à savoir : ‘’L’intervention ne négocie pas, le négociateur n’intervient pas – La place du chef est là où il peut le mieux commander, au plus près des hommes engagés dans la mission"

Ca, on le sait. 
On comprend moins bien l’absence d’intérêt porté par la Cour au rôle occupé et tenu par l’AGIGN Toulouse. La seule unité de personnels formés et qualifiés à l’intervention spécialisée, présente durant près de 2 h 20 à proximité du terroriste et de son otage.

Qu’est ce qui pourrait expliquer ou justifier l’absence d’intérêt de la Cour, des jurés, des parties civiles sur le rôle attribué à cette unité, au point de ne pas envisager l’audition de son encadrement (chef de mission et chef du groupe assaut), et de se focaliser plutôt, sur les seize minutes du dialogue d’un négociateur depuis le siège du GIGN à 800 km de là ? Une phase certes importante, mais pas au point d’occulter le rôle occupé par l’AGIGN, dans le temps de sa présence sur le site !…

Reprenons donc la chronologie des faits :

- Le périple du meurtrier débute à 10 h 13, sur le parking des Aigles, un lieu choisi, car connu pour ses rencontres d’homosexuels. Il y tue le passager d’une voiture, âgé de 50 ans, et blesse grièvement le conducteur, âgé de 25 ans, qu’il pousse à l’extérieur pour voler la voiture. Il justifiera cet acte de cette phrase ‘’J’ai allumé deux pédés’’.

- Peu après, il se gare à proximité de la caserne d’un régiment de parachutistes dans le but de tuer des militaires, comme Mohamed Merah des années auparavant. N’en voyant pas, il se déplace et voit un groupe de quatre CRS qui, terminant leur footing, rejoignent leur cantonnement. Il tire à six reprises sur l’un d’eux, qu’il  blesse grièvement dans le dos.

- Il poursuit sa route en direction de Trèbes, à 8 km, pour stationner la voiture sur le parking du Super U. Il entre dans le magasin et y tue à bout portant le chef boucher âgé de 50 ans et un client de 65 ans. Vingt autres clients parviennent à s’échapper ou à se cacher dans la chambre froide. Il jette alors une grenade artisanale qui n’explosera pas et se retranche dans la salle des coffres, où l’opportunité s’offre à lui de prendre en otage une hôtesse de caisse qui s’y est cachée.

- Un dialogue va s’entamer avec celle qui restera sa captive durant 52 minutes. Elle affiche sang froid, empathie et respect à l’égard de l’homme, qui l’assure ne pas vouloir lui faire de mal, et se présente comme un porte-voix incitateur de frères à opérer d’autres formes d’actions et de violences. Elle exécute son injonction d’avertir la Gendarmerie, trouve un téléphone à proximité, et appelle celle de Carcassonne, lui expose sa situation d’otage au Super U de Trèbes, en soutien aux frères en Syrie (sic). Elle transmet la revendication de son auteur d’une libération de Salem Abdeslam, et sa volonté de  mourir en martyr pour rejoindre Mohamed Merah et Coulibaly…

 - Cette information déclenche, vers 10 h 40, le processus d’action de la Gendarmerie, défini au titre du Schéma national d’intervention, instauré après les attentats de 2015, décliné par une gradation des moyens mis en œuvre, sur la base d’une réaction des unités de proximité immédiate des faits (brigade territoriale et motorisée) et de celle, dite intermédiaire, le PSIG équipé et formé pour fixer l’adversaire, lui interdire toute fuite ou renfort.

- L’alerte est répercutée au GIGN, vers 10 h 46, lequel déclenche son engagement, opéré simultanément avec celui de l’antenne GIGN de Toulouse, la plus proche. 

 - Vers 11 h, arrivent sur site des gendarmes de la brigade locale, d’une unité motocycliste, et ceux du PSIG. Après avoir sécurisé l’accès de l’établissement, ces derniers consultent la vidéo surveillance afin d’avoir une vision globale des faits et l’existence d’une otage..

- A 11 h 21, une colonne de quatre gendarmes progresse par binôme dans le magasin. Le  lieutenant-colonel Beltrame s’y est intégré, bien que dépourvu d’équipement balistique, et alors qu’il lui a été enjoint de rester à couvert derrière des rayons.

- A 11 h 24, elle accède au contact du terroriste et de son otage retranchés dans la salle des coffres. Un dialogue est entrepris par le binôme de tête, mais rapidement, autant que fermement, interrompu par l’officier qui veut prendre les choses en main. Il ordonne au gendarme de lui laisser sa place et ne tient pas compte de l’opposition témoignée par le major Garcia, commandant de l’unité. Il s’avance vers le preneur d’otage pour lui demander de prendre la place de celle-ci. 

L’échange s’opère après la remise préalable de son arme de service par l’officier, dont le terroriste déjoue la manœuvre de désapprovisionnement. Il se voit contraint donc à fournir une arme approvisionnée de quinze cartouches. Il ordonne à ses hommes de quitter les lieux et face à un repli peu rapide il crie :. ‘’Je ne veux pas de bruit, je ne veux personne. On vous entend à dix kilomètres. Je ne veux pas crever, moi ! ‘’

- A 11 h 28, il entre dans la salle des coffres. Son téléphone portable allumé aurait permis à ceux situés à l’extérieur du bâtiment de suivre la situation à distance.

- À 11 h 32 et 37 secondes, la vidéo surveillance enregistre la fuite de l’otage libérée. L’action est alors figée dans la salle des coffres faute de dispositif vidéo et audio. 

 - A 12 h, trois hélicoptères décollent de Villacoublay, près de Satory, avec des personnels et matériels du GIGN en vue d’une arrivée à Trèbes, située à 800 km, vers 14h15.

- A 12 h 10, l’antenne GIGN de Toulouse (en mars 2018, les quatorze antennes GIGN n'étaient pas rattachées - comme aujourd'hui - au GIGN central et restaient sous le commandement opérationnel des régions de gendarmerie où elles étaient implantées), arrivée avec un effectif de douze militaires, installe, en coordination avec les primo intervenants, un dispositif de sécurisation des lieux. Il positionne un tireur au fusil de précision face à l’entrée du magasin et cinq gendarmes près de l’accueil. 

Dix huit autres militaires de cette unité sont déployés ensuite sur site, soit le quasi effectif organique.

(Le descriptif de la suite des faits ressort du seul contenu du rapport d’intervention du GIGN mentionné ‘’sibyllin’’ par son rédacteur).

- A 12 h 45, le Lieutenant-colonel Beltrame contacte son supérieur hiérarchique, qui retransmet au GIGN les exigences du terroriste, faute de quoi il ferait sauter ses grenades.

- A 13 h 10, le terroriste apparaît dans l’encadrement de la porte de la salle des coffres, l’officier en bouclier humain un pistolet sur la tempe, ce qui interdisait au tireur de précision une neutralisation par le feu.

- A 13 h 30, l’utilisation d’un moyen d’acquisition du son à travers les murs aurait permis d’entendre le terroriste prier. 

- Dix minutes plus tard, le terroriste par la voix de l’officier, exige un chargeur téléphonique. Arnaud Beltrame réapparaît dans l’encadrement de la salle des coffres, fait un signe ‘’Ok’’ de sa main et fait aussi comprendre que le terroriste dispose de deux armes à feu et d’une grenade. 

(La question se serait alors posée de laisser à l’AGIGN la poursuite des opérations en vue de réaliser l’ intervention…)

- A 14h, un compromis établit de fournir le chargeur demandé, à charge pour l’antenne de Toulouse d’être en mesure de déclencher un plan d’assaut d’urgence, en cas de brusque dégradation de la situation à l’intérieur de la pièce. 

- A 14 h 08, Arnaud Beltrame récupère un téléphone, vraisemblablement le sien, sur le comptoir de l’accueil.

 - 2 h 40 se sont déroulées depuis sa séquestration dans la salle des coffres quand le GIGN, depuis Versailles, entame alors la phase de négociation avec le terroriste. Il faut encore cinq minutes au négociateur pour parvenir à atteindre, sur le téléphone portable de l’officier, un interlocuteur qui s’avère être ce dernier et qui sollicite l’activation du mode haut-parleur.

Le terroriste renouvelle alors sa demande de libération de Salah Abdeslam, à laquelle il est répondu que cela ne se fait pas comme cela, et qu’il le sait bien.

Une minute plus tard, le négociateur évoque au terroriste la présence de sa mère et l’intéressé de répondre qu’il l’a déjà informée de ses actes et fait connaître leur vision opposée sur le sujet. 

 - A 14 h 16, L’officier hurle ‘’Attaque … assaut assaut’’. La suite est confuse, ponctuée de bruits de lutte et de cris. Le négociateur perçoit avec difficultés que l’évolution de la situation lui échappe. Il essaie de comprendre ce qui se passe et ses appels désespérés sont entrecoupés de  bruits de lutte et de râles. Il ne sait pas ce qui se passe et questionne successivement l’officier et le terroriste, insiste à plusieurs reprises, mais ses questions demeurent sans réponse, avant que des coups de feu éclatent.

‘’bruits de râles’

- 8 minutes 30 plus tard, la vidéo de surveillance enregistre le déplacement de la colonne d’assaut de  l’antenne GIGN de Toulouse.

- A son entrée dans la salle des coffres, elle trouve le terroriste le dos à la porte, Arnaud Beltrame sur lui. Le terroriste tente de se relever pour faire face, crie ‘’Allahou akbar‘’ avant d'être atteint de quatre balles de 9 mm par des pistolets Glock et une de 5,56 mm d’un fusil G 36, qui l’atteignent à l’épaule et à la tête.

- A 14 h 28 l’assaut est terminé.

On peut donc regretter l’absence de recours au témoignage des représentants de l’unité installée sur place depuis son arrivée à 12 h 20, l’antenne Toulouse du GIGN, maîtresse des lieux jusqu’à 14 h 28 fin de l’assaut. Or, elle semble la mieux placée pour décrire la situation, et sa gestion…

D’autres questions se posent :

  • Le risque de piégeage d’explosifs, technicité du niveau GIGN, a été présenté comme le facteur retardant l’action de l’AGIGN. Il disparaît subitement pour permettre l’assaut d’urgence…
    A moins que cela n’ait résulté du concours de Jaguar, chien malinois de la Gendarmerie, spécialisé explosif, désormais à la retraite, intervenu au  Super U de Trèbes, pour déterminer si d’autres terroristes porteurs d’explosifs auraient pu se glisser dans l’établissement….

  • Il n’est pas non plus établi l’efficacité du dispositif d’interception des sons, bruits, propos dans la salle des coffres. Seul élément connu, l’identification de la réalisation de la prière par le terroriste ce qui n’a pas suggéré un assaut d’opportunité. On ignore si les opérateurs de l’AGIGN ont entendu et identifié les bruits de lutte, les râles et les coups de feu rapportés par le négociateur, et qui ont été à l’origine de la décision d’assaut.

  • L’échange conduit par le négociateur a vraisemblablement laissé entrevoir à l’officier une évolution du processus d’action des unités d’intervention spécialisées, voire à la proximité du GIGN prêt à un assaut. Estimant alors être en capacité de désarmer le terroriste, il tente de le faire et, par ses cris, aurait recherché l’intervention des unités positionnées dans le magasin. Les trois coups de feu tirés par le terroriste l’atteignent à la main et l'avant bras gauche, dans un geste plausible de protection, mais aussi au pied droit.  Des blessures non létales selon le médecin légiste, mais réductrices de sa capacité de lutte. Ce dont profite le terroriste pour lui porter pas moins de seize coups de couteau à la gorge, atteignant gravement trachée, artère et larynx, selon un acharnement jamais constaté par l’expert. Il estime "plausible", que la victime ait pu survivre sur l’intervalle de ses appels au déclenchement de l’assaut et celui où il se produit. L’analyse de la blessure par balle du terroriste, consécutive à la trajectoire d’un projectile dans la clavicule et à la quantité de sang accumulé dans les poumons, laisse présumer à l’expert une action antérieure à l’assaut et vraisemblablement l’œuvre de l’officier de gendarmerie.
    On comprend donc que la vie de Beltrame s’est jouée à un court instant, et que le déroulement de la manœuvre, et sa rapidité, sont des questions qui méritent d’être posées…

  • Il est enfin ignoré l’origine exacte de l’ordre d’assaut et les raisons du temps de réaction ayant suggéré «un  terrible flottement’’. L'opportunité d’une réponse par la hiérarchie AGIGN n’a pas été sollicitée…

  • Le tout est porteur d’interrogations sur le choix du schéma tactique initial, priorisant l’intervention du GIGN national, conformément à la doctrine d’emploi, puis de la temporalité du transfert à l’AGIGN…
    Les trois hélicoptères du GIGN central de Satory se sont posés quelques minutes après l’assaut.

Alain Dumait (avec la rédaction de L’Essor de la Gendarmerie et nos correspondants)

Pour un récit complet : l'ouvrage de Pierre-Marie Giraud

Le prochain n° de notre magazine L’Essor de la Gendarmerie, rendra compte de ce jugement, et reviendra sur cette affaire.

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