Drogue, mille-feuilles et pastis

actualité de la semaine

Il est parfois des moments où le rapprochement de deux informations a un effet perturbant.

Depuis hier les médias expliquent que la consommation en France de cocaïne a explosé avec plus d’un million de consommateurs réguliers, venant en quelque sorte confirmer les informations quant au développement inquiétant du narcotrafic dans de nombreuses villes et campagnes avec, dans certains cas, son cortège de violence et de meurtres et de victimes collatérales aux activités criminelles stricto sensu. Rennes, Nantes, Avignon, Paris, Grenoble, Marseille, la litanie des villes dans lesquelles sont recensés des points de deal œuvrant au grand jour, pour ne pas dire dans une relative impunité, ne cesse de s’allonger et, depuis quelques années, les zones moins urbanisées sont elles aussi concernées. C’est après tout logique, la campagne offre une plus grande discrétion en termes de logistiques car, comme dans tout bon business, les entrepôts ne sont pas nécessairement accolés aux magasins ! En termes de clientèle tous les métiers et toutes les catégories sociales sont concernés ce qui explique l’accélération d’une diffusion nationale qui fait que la cocaïne, souvent considérée comme la drogue des VIP, est devenue la drogue de tout le monde ou presque.

La fable de jean de la Fontaine, « le rat des villes et le rat des champs » y trouve toute sa place, pour rappel des derniers quatrains :

A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le Rat de ville détale ;
Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire :
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
Achevons tout notre rôt.

– C’est assez, dit le rustique ;
Demain vous viendrez chez moi :
Ce n’est pas que je me pique
De tous vos festins de Roi ;

Mais rien ne vient m’interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc ; fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre.

En dehors des villes, que le « rat » soit le client ou le dealer on est (ou était) plus tranquille.

Cette situation – développée dans le cadre de cette lettre à partir de l’exemple de Marseille, là aussi pointé par la Cour des Comptes – vient percuter en quelque sorte le rapport de cette institution qui pointe les incohérences des répartitions territoriales entre police et gendarmerie. Incohérences qui ne peuvent que faciliter les activités illégales des trafiquants de drogue.

A l’origine la répartition se voulait simple, la police dans les villes, la gendarmerie dans les campagnes. Cette répartition qui semble parfois ne pas avoir tenu compte du rattachement opéré en 2009 des forces de police et de gendarmerie sous l’autorité du ministre de l’Intérieur n’a pas non plus tenu compte de l’évolution sociologique et démographique de la France et de la délinquance qui s’y greffe.

La Cour des Comptes rappelle que la gendarmerie était chargée de la sécurité en milieu rural, et les polices, alors  municipales, l’étaient dans les villes. En 1941, le régime de Vichy a étatisé la police dans les communes de plus de 10 000 habitants, en transférant aux préfets certains pouvoirs des maires à travers le régime dit de « police d’État ». Ce régime a été étendu en 1996 à tous les chefs- lieux de départements, indépendamment de critères démographiques ou de niveau de délinquance. Et si quelques ajustements ont pu être opérés ils sont rarissimes et inexistants depuis une 10 ans. 

Or si les buts poursuivis par la police nationale et la gendarmerie sont les mêmes, l’organisation actuelle, entre une police intervenant sur une circonscription (de plus de 20.000 habitants) délimitée et parfois de taille très réduite et la gendarmerie gérant des territoires plus étendus, semble avoir perdu de son efficacité. Or aujourd’hui certaines zones police font moins de 20.000 habitants et les gendarmes interviennent dans des communes qui sont en périphérie immédiate de grandes métropoles.

Une distinction qui opère une coupure de compétence source, parfois, d’inefficacité.

Aussi la Cour des Comptes recommande de transférer les petites circonscriptions de police à la gendarmerie, de transférer à la gendarmerie nationale l’ensemble des communes des départements ruraux et faiblement peuplés, chefs-lieux inclus et, parallèlement, de confier à la police les communes des métropoles qui présentent des enjeux de délinquance continus avec ceux de la ville-centre.

La volonté de la Cour des Comptes de sortir de cette logique de mille-feuilles territorial est louable. Mais ce bon sens, hélas, ne tient pas compte des réalités de terrains. Intérêts politiques et volonté de maintenir un statu quo l’emportent souvent sur une rationalité qui serait pourtant gage d’économies des deniers publics et d’efficacité dans le traitement de la délinquance.

Nicolas LEREGLE

Directeur de la rédaction

Marseille : les forces de police en sous-nombre sur le front du trafic de stupéfiant

Face au trafic de stupéfiants, les forces de police marseillaises sont pleinement mobilisées. Trop ? Le rapport de la Cour des Comptes pointe les limites de cet engagement. Des effectifs sous tension, des mouvements sociaux, des conditions de vie et de travail éprouvées, sans compter les autres missions trop souvent délaissées et qui pourraient finir par exploser.

Concentrer les forces ou les disséminer ? Telle est la question.

Les 4100 agents de police, répartis entre « sécurité publique », « police judiciaire » et « police aux frontières », sont mobilisés en priorité sur la lutte contre le trafic de stupéfiants et soutenus par une force administrative et transversale aux différents ministères ainsi que par une cellule de renseignement dédiée. La stratégie semble payer. Le rapport pointe les réussites de cette stratégie de concentration des forces, notamment avec une neutralisation de plusieurs têtes de réseaux et de l’élimination de 40% des points de trafic de drogue ces dernières années.

Des renforts en nombre face à la crise des effectifs

Outre le soutien de la Gendarmerie nationale sur des événements ponctuels et de près de 500 policiers municipaux, la Police nationale poursuit son action avec l’arrivée de nouveaux renforts. « Dans le cadre du plan « Marseille en Grand » annoncé en septembre 2021, la ville a reçu des moyens importants, incluant plus de 400 agents de police, deux compagnies républicaines de sécurité, et des équipements (200 véhicules, 2 000 caméras piétons, et 5 000 terminaux téléphoniques) », indiquent les auteurs du rapport.

Les renforts sont essentiels pour soutenir des effectifs continuellement sous tension. Les jours d’arrêt maladie n’ont cessé de progresser jusqu’à atteindre 34% depuis 9 ans pour la police aux frontières. Heures supplémentaires, absentéisme, arrêt de travail, arrêt maladie : tous les indicateurs sont au rouge et ont même amenés à des mouvements sociaux en 2022 et 2023. A cela s’ajoute les problématiques locales telles que les « problèmes de logement et des conditions de travail, avec des primes mal ciblées et des aides à l’installation insuffisantes ».

Quelles solutions pour endiguer le trafic et soutenir les effectifs ?

Les recommandations de la Cour des Comptes visent en priorité à réaffirmer l’ascendance du préfet comme représentant de l’Etat, en rattachant « la direction de la sécurité, polices administratives et réglementation à la préfecture de police des Bouches-du-Rhône » et « confirmer la responsabilité pleine et entière du préfet de département en matière de gestion de crise et de pilotage des grands événements ».

Pour lutter contre les départs d’agents, les rapporteurs de la Cour des Comptes recommandent de « créer une indemnité de fidélisation versée aux effectifs de police exerçant dans les divisions les moins attractives de Marseille pendant une durée continue de cinq ans ».

Le rapport souligne également l’importance des enjeux de prévention, notamment auprès des plus jeunes, en « [...] mettant en place un plan d’action unique accompagné d’objectifs chiffrés visant à prévenir l’usage illicite de stupéfiants, en particulier chez les personnes mineures ». Plus généralement, les polices nationale et municipale devraient améliorer leur « partage d’informations » et « renforcer les patrouilles conjointes ou mixtes ». Pour le reste, la réponse sera probablement politique et internationale, pour lutter contre les réseaux en France et depuis l’étranger.

Simon DOUAGLIN

Diplômé d’un master de Sciences Po Aix et de l’ICES, est rédacteur-analyste, spécialisé dans la sécurité et la défense. Ancien réserviste de la Gendarmerie nationale.

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Lire le rapport

"La Sécurité est un droit (Rue Bleue)"

"La Sécurité est un droit (Rue Bleue)"

Par nicolas leregle

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