Quelle place pour la justice

la justice

Il est de bon ton, confronté à une problématique sécuritaire, de pointer du doigt le supposé laxisme de la magistrature. Dès lors de rappeler, si besoin est, que plus de 30% des magistrats sont affiliés au syndicat de la magistrature, sous-entendu un repaire de gauchistes. Ces derniers feraient leur métier non pas pour, aveuglément, balancer les droits entre deux parties mais pour rétablir ce qu’ils pensent être un équilibre social de classe entre les nantis et ceux qui ne le sont pas.

Il est de bon ton, confronté à un litige sensible, de commenter de plausibles décisions en supputant leur parti pris politique, les risques qu’elles pourraient faire courir à la démocratie, leur mansuétude incomprise ou leur sévérité qui ne le serait pas moins, dans les deux cas on y voyant l’influence du prévenu visé, à préserver par intérêt ou à sanctionner par principe.

Il est de bon ton, dès qu’une personnalité est mise en cause, de proclamer son amour et son respect pour la justice et ceux qui en sont les ordonnateurs, mais dans le même temps de mettre en cause leur impartialité pour se donner les moyens de revêtir les habits du martyr ou du saint selon la couleur prise par la décision.

Il est de bon ton, en somme, de faire des magistrats les boucs émissaires commodes de situations dont nous sommes responsables et dont on ne s’attendait pas à être vu et pris.

La sécurité publique telle que nous la connaissons en France repose sur une justice qui ne soit pas aux ordres d’un pouvoir politique ni gangrenée par des partis pris idéologiques. L’un ou l’autre de ces extrêmes n’ont pas leur place dans l’exercice de la fonction ô combien difficile de magistrats. Les juges politisés enfants de mai 68 ont vieilli et se sont assagis. Ceux qui sont aujourd’hui assez idiots pour afficher un « mur des cons » ou transformer en tribune politique un prétoire de tribunal n’honorent pas leur profession à laquelle ils causent plus de tort que de bien. Pour ceux qui fréquentent de temps à autre les audiences on ne peut être qu’admiratif devant la connaissance des dossiers dont les magistrats font preuve et, pour les audiences de flagrants délits, par leur souci, non pas d’être expéditifs mais simplement rapides dans le temps consacré à l’analyse de faits et au prononcé d’une sanction.

Il est de bon ton, de rappeler que la sécurité publique a besoin que la force régalienne soit contenue par la balance de la justice. Si cette dernière est absente on peut avoir peur pour la démocratie et l’exercice des libertés qui accompagne celle-ci.

Il est de bon ton, de souligner que les magistrats ne font qu’appliquer le droit qui a été écrit, voulu et voté par des parlementaires au risque que ces derniers s’en mordent les doigts.

Il est toujours étonnant d’entendre des élus vouloir de façon permanente une justice plus dure, plus résolue, plus inflexible, les adjectifs ne manquent pas mais que, de préférence, elle ne s’applique pas dans toute sa rigueur à eux. Oublieraient-ils que le juge n’est pas le législateur, que la loi est supposée être la même pour tous ? Le gouvernement des juges n’existe pas en France mais les juges peuvent, par leurs décisions et les conséquences de ces dernières, avoir un impact politique. Il en a toujours été ainsi, responsables mais pas coupables en somme.

Que cela plaise ou non à certains la liberté collective est la somme des libertés individuelles qui sont respectées. Si on souhaite substituer une notion de liberté collective qui s’imposerait aux libertés individuelles notre société risque de prendre une voie dangereuse.

Il est de bon ton de dire que les problèmes sécuritaires de notre société n’ont pas comme source une désinvolture de la magistrature. Quand le prévenu arrive devant le juge il y a eu de nombreuses étapes préalables où les services sociaux, l’éducation nationale, la police, sans que cette liste soit exhaustive, où n’ont rien vu où n’ont pu intervenir qu’après les faits incriminés. Le juge est, avec le gardien de prison, le dernier maillon d’une chaine de déficience ou de non-alerte qui aboutit à une sanction. Il est donc un peu facile d’en faire les responsables qui endosseraient sur leurs épaules le poids des déséquilibres de notre société.

Nicolas LEREGLE

Directeur des rédactions

nicolas.leregle@lessor.org

Jean-Michel Fauvergue : le maintien de l’ordre à l’épreuve des balles

Après une brillante carrière dans la Police nationale puis député En Marche entre 2017 et 2022, Jean-Michel Fauvergue est un héros des attentats de 2015 et fait partie de ces hommes engagés, du terrain et jusqu’en politique. Il nous livre sa vision du maintien de l’ordre, de la sécurité tout en pointant les manquements de la justice. Rencontre.

Le maintien de l’ordre dans un contexte de tensions accrues

La dernière décennie a été marquée par de nombreuses tensions sociales, mouvements de protestations, manifestations à Paris ou en province, mettant les forces de l’ordre à rude épreuve et nécessitant une révision des techniques de maintien de l’ordre. « Tirant les conclusions des émeutes de gilets jaunes ou des émeutes après la mort de Nahel, le maintien de l’ordre a été revu à l’aulne de ces nouvelles menaces », souligne Jean-Michel Fauvergue. « Évidemment tous les manifestants ne sont pas violents. Il subsiste encore des manifestations traditionnelles avec un public nombreux, comme les manifestations pour le climat car les manifestants n’ont pas été violents à l’égard des forces de l’ordre. Il ne faut pas oublier que les forces de l’ordre sont là pour protéger le droit de manifester. »

La question du maintien de l’ordre est très liée à la gestion de l’information. Au fil des manifestations, la gestion de l’information évolue et peut influer sur le cours des événements. « Lors des émeutes suite à la mort de Nahel, on a pu observer une évolution du traitement de l’information, par exemple les journalistes étaient moins bien reçus par les manifestants et se retrouvaient donc derrière les lignes des forces de l’ordre où ils pouvaient voir les violences sous un autre angle et même les vivre en même temps que les policiers et les gendarmes », constate l’ancien patron du RAID. La façon de relayer l’information joue donc un rôle décisif sur la perception du maintien de l’ordre, notamment lorsque les forces de l’ordre sont l’objet de critiques.

Équilibre entre libertés individuelles et sécurité publique

Les opposants et manifestants pointent le risque de dérive du maintien de l’ordre et du non-respect des libertés individuelles. « L’équilibre entre libertés individuelles et sécurité publique est un curseur qui se déplace en fonction des périodes. La demande de sécurité en période d’émeute et de trouble n’est pas la même qu’en période calme. Dès lors, les préoccupations liberticides passent au second plan mais il s’agit toujours d’une période provisoire. Lors de la pandémie de covid, il y a eu une atteinte phénoménale à nos libertés pour essayer de s’en sortir, comme lors de la Première guerre mondiale. En cas de guerre avec la Russie sur le territoire européen, il y aura une restriction des libertés mais ce n’est jamais définitif. »

Dans tous les cas, « nous sommes pour la liberté, conformément à l’article de la déclaration des droits de l’Homme. A un certain moment les choses ne sont plus restrictives. C’est la caractéristique d’un pays démocratique, même si l’on restreint les libertés elles finissent par revenir. »

Quels progrès du maintien de l’ordre ?

Malgré les réussites du modèle français de maintien de l’ordre, « il existe encore des progrès à faire dans la régulation de certains manifestants violents. On n’y arrive toujours pas pour le moment car on tombe sur des interdits du Conseil constitutionnel. Ce n’est pas une bonne chose car en interdisant les éléments les plus violents, on serait plus efficace sur le terrain, on pourrait faire en sorte que les manifestations ne dégénèrent pas et que ceux qui manifestent soient protégés dans leur droit de le faire », indique Jean-Michel Fauvergue, qui appelle à l’emploi de nouveaux outils. « Il pourrait aussi y avoir une évolution des techniques et l’utilisation des technologies nouvelles : IA, reconnaissance faciale ou caméra intelligente, pour pouvoir aider la police et déceler rapidement les problématiques qui se nouent sur le terrain, mais pas de manière généralisée. »

En tant que député En Marche, Jean-Michel Fauvergue a été en charge de la loi sécurité globale. « Dans la 4e partie, il était proposé d’ouvrir la possibilité d’utiliser des drones d’observation. Cette disposition a été cassée par le Conseil constitutionnel alors que cette utilisation est permise dans le privé. Aujourd’hui, lorsque la Police nationale utilise des drones elle est plus contrôlée que n’importe quelle autre institution. Il existe une espèce d’absence de confiance totale dans l’Etat de manière générale, et dans la Police et la Gendarmerie en particulier. On a plus tendance à faire confiance aux éléments qui troublent l’ordre public qu’aux autres », déplore-t-il.

Des hommes et des femmes sur le front

Les techniques de maintien de l’ordre en France sont « particulièrement bonnes et exportées dans le monde mais perfectibles. Le maintien de l’ordre n’est jamais sans risque mais les forces de l’ordre agissent toujours en riposte », rappelle Jean-Michel Fauvergue.

Les CRS, gendarmes mobiles ou BRAV - formés et rompus aux manifestations difficiles – participent activement à faire du maintien de l’ordre une activité de police respectueuse des libertés individuelles mais leur nombre limité et leur emploi sur de longues périodes de temps constitue une limite à leur efficacité. « En cas de manifestations répétées, violentes et dans plusieurs endroits du territoire national, des compagnies de marche sont formées mais disposent d’une technicité moindre, d’un manque d’expertise et de stratégie, dans ce cas, il peut y avoir un risque de maintien de l’ordre qui ne remplit pas les conditions prévues par la doctrine. »

Le maintien de l’ordre nécessite un engagement long et intense, les forces de l’ordre puisent leurs forces dans un savoir-faire et une solidarité de corps. « En tant que chef du RAID entre 2013 et 2017, j’ai commandé les différents assauts de l’unité au moment des attentats terroristes de 2015. Quand on est dans l’action, une solidarité importante se met en place entre les hommes et favorise un moral élevé grâce à l’entraide et à la solidarité. En ce qui concerne le maintien de l’ordre, il peut exister des problèmes de repos et de turn over des unités. Le harcèlement sur de nombreux points et le manque de repos peuvent conduire à une fatigue et une baisse de moral des troupes mais ça n’arrive qu’en période exceptionnelle. » En effet, le maintien de l’ordre n’est pas une discipline isolée et dépend aussi de la gestion des éléments perturbateurs par la justice.

« Il y a une faillite complète de la justice »

Le maintien de l’ordre consiste à faire respecter l’ordre, même si une minorité d’individus sème le trouble, jusqu’à piétiner le collectif. « Nous sommes malheureusement dans un pays favorisant plus le droit individuel que le droit collectif, ce n’est pas bon pour une démocratie.  Il faut défendre le droit et revenir à une suprématie du droit de l’ensemble de la communauté nationale plutôt que du droit individuel. »

Cette suprématie du droit passe par un respect de la justice et des décisions des magistrats. « Il y a une faillite complète de la justice. La justice n’est pas rendue de manière ferme et quand les peines sont décidées, elles ne sont souvent pas exécutées », conclut-il. Et d’ajouter : « La justice est à réformer totalement ! ».

Propos recueillis par Simon DOUAGLIN

Rédacteur-en-chef

simon.douaglin@lessor.org

"La Sécurité est un droit (Rue Bleue)"

"La Sécurité est un droit (Rue Bleue)"

Par nicolas leregle

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