Le ministre de l'Intérieur et le président de l'exécutif de Corse ont rendez-vous le 22 février, place de Beauvau. Ils sont d'accord pour parler "autonomie". Restent à préciser les "détails".
Nous sommes le jeudi 9 février 2023. Voici le n°40 de votre newsletter Rue Bleue - Droit à la Sécurité. (Prix au numéro : 0,75€)
L’irrédentisme corse remonte à la conquête de cette île par les armées du roi de France (défaite et déroute de l’armée corse de Pascal Paoli à Ponte-Novo le 9 mai 1769).
Pour les Français du continent, l'histoire avec l'île de Beauté commence. Mais, pour les (nouveaux) Français corses, ce n'est qu'un moment, dans une longue histoire très mouvementée et dix fois millénaire !
Impossible aujourd'hui d'aborder la question du statut de la Corse sans considérer cette toile de fonds historique, avec ses nuances différentes pour chacune des 359 communes de l'île, autant que celles de ses paysages sublimes.
Comme une solution durable s’apprête, peut-être, à être trouvée quant à son statut institutionnel, et comme les affaires corses sont aussi de l'ordre de la sécurité générale –la criminalité y est trois fois plus élevée que sur le continent– c’est l’objet des réflexions de mon édito de cette semaine.
Gilles Simeoni, à gauche, et Gérald Darmanin échangent une solide poignée de mains le 6 février 2023, à Ajaccio, à l'issue de la célébration par le ministre du 25ème anniversaire de l'assassinat du préfet Erignac. (illustration : capture d'écran).
Le ministre de l'Intérieur est prêt à accepter l'autonomie de la Corse
Après son annexion, la Corse a connu toutes sortes de statuts. Le dernier en date est, depuis le 1er janvier 2018, celui de "collectivité unique territoriale", avec un exécutif et une assemblée territoriale, aux compétences très étendues, mais pas encore assez pour la majorité des élus qui, emmenés par le chef de l'exécutif, Gilles Simeoni, n'ont de cesse de réclamer "une autonomie pleine et entière". C'est-à-dire à la fois au plan financier (régime fiscal) et aussi de la sécurité publique (police générale).
Le 2 mars 2022, Yvan Colonna, condamné pour l'assassinat du préfet Erignac le 6 février 1998, est à son tour assassiné par un co-détenu dans la prison d'Arles. Aussitôt connu, ce fait déclenche des manifestations violentes dans les différentes villes de Corse. Gérald Darmanin se rend sur place le 16 mars et une déclaration au journal Corse Matin le précède : "Nous sommes prêts à aller jusqu'à l'autonomie".
Le président de l'exécutif corse semble saisir la balle au bond : "Un processus à vocation historique de discussions sur l’avenir institutionnel de l’île est lancé", déclare-t-il.
Après différents épisodes –rendez-vous annulés, manifestations souvent violentes, gestes de bonne volonté du gouvernement, plusieurs visites en Corse du ministre…– une nouvelle réunion du "comité stratégique sur l'avenir de la Corse" est programmée place Beauvau pour le 22 février…
Gilles Simeoni semble être l'homme de cette situation.
L'actuel chef de l'exécutif corse est né le 20 avril 1967, à Bastia. Son père Edmond (décédé en 2018) et son oncle Max (toujours en vie), tous deux médecins, étaient en Corse les leaders incontestés des "régionalistes", devenus "autonomistes" dès les années 70. Le triste fait d'arme de l’occupation violente de la Cave viticole d'Aleria, en 1975, sur la côte orientale, qui coûta la vie à deux gendarmes tués par une seule balle, installa la famille Simeoni au panthéon des héros nationalistes de l'île.
Juriste de formation, avocat, Gilles Simeoni est dans l'arène politique locale depuis plus de 20 ans : à Bastia, où il a fait ses études et où il est toujours conseiller municipal, et maintenant à Ajaccio, où il a été élu président du Conseil exécutif en décembre 2015 (avant de prêter serment, en corse, sur une édition de 1758 de la Giustificazione della rivoluzione di Corsica, souvent abrégée en Giustificazione, en français : "Justification de la révolution de Corse, et de la ferme intention, prise par les Corses, de ne plus jamais se soumettre à la souveraineté de Gênes", un ouvrage paru en italien à Naples en 1758, et réputé avoir été écrit par un Corse de la ville de Corte).
C'est l'interlocuteur idéal pour Gérald Darmanin : chacun à l'autorité qu'il faut, tous deux veulent marquer leur histoire et celles de leurs pays réciproques.
Les pouvoirs publics, à Paris, en sont donc arrivés à envisager "une autonomie pleine et entière" de la Corse (département ordinaire jusqu'en 1975).
Non pas pour des raisons historiques ou philosophiques, ou pour faire plaisir à une poignée d'élus, mais plutôt parce que la France continentale, de ce côté-ci de la Méditerranée, a depuis longtemps un problème grave de sécurité publique sur ce territoire ! Paris n'a jamais su gouverner ce territoire !
Un rapport du sénat de 1990 parlait déjà d'un "échec global de la politique de sécurité en Corse". Année après année, les statistiques sont mauvaises : criminalité, délinquance, cambriolages, jeux clandestins, incendies volontaires, insécurité routière, faux papiers, immigration clandestine. La Corse est le mauvais élève de la classe métropolitaine !
Pourtant, les moyens mis en place par la République sont importants : selon un autre rapport du sénat qui vient d'être publié, la Corse "dispose de forces de sécurité qui peuvent apparaître comme pléthoriques. Aujourd'hui, en additionnant les forces permanentes et les forces mobiles relevant de la Police et de la Gendarmerie, elle dispose d'un effectif de plus de 2.800 hommes” (deux fois plus que la moyenne métropolitaine continentale).
Ce rapport note :
- "Le caractère rural et montagnard de la Corse entraîne une nette prédominance territoriale de la Gendarmerie. La Gendarmerie nationale a en charge 98,5% du territoire et la Police nationale les 1,5% restant, répartis en deux circonscriptions de sécurité publique. En raison de la faible densité humaine des zones rurales, les deux circonscriptions de sécurité publique regroupent 41% de la population, la Gendarmerie ayant en charge 59 % de la population. La Gendarmerie est donc compétente sur l'ensemble du territoire Corse, à l'exception de la commune d'Ajaccio qui est la seule circonscription de sécurité publique de Corse-du-Sud et des communes de Bastia, de Ville-Di-Pietrabugno et de Furiani, qui constituent la circonscription de Bastia, unique circonscription de Haute-Corse".
La gendarmerie de Corse, avec ses deux groupements, est donc en première ligne. D'ailleurs, avoir commandé en Corse –ce qui est le cas du directeur général actuel Christian Rodriguez– est un atout fort pour accéder aux plus hautes fonctions de l'Arme.
La prochaine "autonomie" de la Corse, proposée au nom du gouvernement par son ministre de l'Intérieur (et envisagée par lui pour le 2e semestre 2024) sera-t-elle au prochain rendez-vous du ministre avec la délégation des élus de la Corse? Et cette autonomie inclura-t-elle la compétence et la responsabilité de la sécurité intérieure dans l'île? C'est évidemment un enjeu majeur: institutionnel, politique, économique et sécuritaire.
Alain Dumait
🟥 INFO L'ESSOR - Vers une levée du secret défense dans l'assassinat d'Yvan Colonna. Le ministre de l'Intérieur va faire droit à la demande des juges qui souhaitent avoir accès à vingt documents de la direction générale de la sécurité intérieure concernant la mort du militant nationaliste corse en détention.
🟥 Mort de Sihem. Comment les gendarmes ont amené le suspect à avouer : les enquêteurs de la section de recherches de Nîmes ont laissé l'homme s'entretenir avec son avocat plus longuement que ne le prévoyait le code de procédure pénale. Il a ensuite reconnu les faits…
🟥 Flashé à 270 km/h sur l'autoroute, il parvient à semer l'Alpine des gendarmes. Un automobiliste particulièrement inconscient a été pris en chasse par la gendarmerie, sur l'A9, samedi 28 janvier 2023. Au volant d'une puissante voiture allemande, il roulait à 270 km/h. Même l'Alpine des gendarmes n'est pas parvenue à le rattraper. Le chauffard, qui conduisait sans permis valide, s'est finalement présenté de lui-même quelques jours plus tard.
🟥 Vaste coup de filet en Guyane contre une organisation criminelle franco-brésilienne. Plus de 200 gendarmes ont participé à cette opération hors norme pour laquelle le GIGN est venu en renfort de métropole.
🟥 Un gendarme de l’Hérault tue un pompier, nouveau partenaire de son ex-compagne, et se suicide. Le militaire, mardi 7 février, a ouvert le feu à plusieurs reprises avec un fusil d'assaut avant de retourner l'arme contre lui. La femme est indemne, mais choquée.
La question du mois de février proposée par le magazine L'Essor de la Gendarmerie:
Sur fond de réforme des retraites, la question de l'évolution de la difficulté du métier de gendarme a été évoquée, confrontant parfois anciens militaires de l'Arme, observateurs extérieurs et gendarmes d'aujourd'hui. L'Essor interroge ses lecteurs sur la difficulté du métier de gendarme aujourd'hui.
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Alain Dumait
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